19

Jacen passa son premier jour de liberté dans l’appartement, à s’émerveiller de son étrange matérialité : le frottement de la moquette sous ses pieds nus, l’air qui n’était pas chargé de violentes senteurs organiques, des murs qui semblaient si verticaux et le plafond parfaitement plan. Il y avait des clichés holographiques sur les étagères. Des haut-parleurs dissimulés déversaient le rythme entraînant d’une chanson populaire. La cuisine était équipée d’un ensemble de machines fantastiques et étincelantes. L’unité de réfrigération était pleine d’aliments conçus pour le palais humain.

Et les meubles… Les Yuuzhan Vong n’avaient pas de meubles tels que les humains les concevaient. Leur mobilier n’était pas fabriqué, non, on le faisait pousser. Et leur sens des proportions s’avérait totalement différent, tout comme leur conception de l’agencement des pièces, avec leurs sols chitineux et leurs murs réalisés en coraux ou en protéines stabilisées.

Jacen avait renoncé aux meubles, aux hologrammes, aux équipements ménagers, aux unités de réfrigération et à tout ce qu’il connaissait d’humain. Retrouver tout cela lui procura la sensation intense de la nouveauté.

Des messages apparurent sur l’unité de communication. Bien joué, mon fils ! Encore une fois, Jacen, tu as su répondre aux prières d’une mère. Les messages déclenchèrent chez lui une véritable joie enivrante qui l’accompagna pour le reste de la journée.

Le soir, sa tante Mara lui suggéra avec tact qu’il pourrait peut-être s’acheter de nouveaux vêtements. Le matin suivant, il décida donc de se rendre dans les commerces appropriés. Il emprunta une tenue à son oncle et passa un manteau. Mais les gens le reconnurent. Son visage avait été diffusé par tous les journaux holographiques. Beaucoup furent très amicaux, d’autres, très curieux, seuls quelques-uns lui lancèrent des regards noirs avant de détourner la tête et de marmonner dans leur coin. Apparemment, les Jedi étaient bien plus populaires qu’ils ne l’avaient été quelque temps auparavant.

Il acheta des vêtements chez un tailleur Quarren. Celui-ci lui assura que le drapé était parfait et très en vogue. Surtout chez les humains. Puis Jacen s’en alla déambuler dans la ville, admirant son architecture élégante sous un ciel d’azur, essayant d’ignorer le fait que, quel que soit l’endroit où il se rendait, il devenait systématiquement le centre de l’attention.

Plus tard, depuis l’appartement, il essaya de contacter Vergere. On lui répondit qu’elle n’était pas autorisée à recevoir des appels. Il en parla à Luke et ce dernier se contenta de répondre :

— Tu es en vacances. Ce qui signifie aussi que tu n’es pas obligé de voir Vergere.

Puis Luke invita Jacen à venir s’asseoir auprès de lui.

— J’aimerais bien que tu m’exposes tes idées sur les Yuuzhan Vong, dit-il.

— Il vaudrait mieux poser la question à Vergere, répondit le jeune homme.

— Je lui ai déjà posé la question. Mais j’aimerais aussi te la poser à toi. En faisant abstraction de leur immunité à la Force, est-ce que les Yuuzhan Vong sont si différents de nous ?

Jacen réfléchit.

— Non. Ils ont un gouvernement tyrannique et leur religion est un véritable poison. Ils ne sont ni pires, ni meilleurs que des humains qui se seraient développés dans un environnement politique et spirituel similaire.

Luke le dévisagea.

— Est-ce que tu les hais ? lui demanda-t-il.

— Non.

La réponse de Jacen avait été vive et pleine d’assurance.

— Et pourquoi non ?

Cette fois, Jacen s’accorda un peu plus de temps de réflexion.

— Parce que, dit-il enfin, ce serait un peu comme détester un enfant qui a souffert d’une mauvaise éducation. Ce n’est pas la faute de l’enfant, c’est celle des parents. Je pourrais haïr leurs chefs, leurs ancêtres, qui ont fait des Yuuzhan Vong ce qu’ils sont aujourd’hui. Mais ils sont morts depuis trop longtemps, alors pourquoi gaspiller son énergie à la haine ?

Luke se leva et posa une main sur l’épaule de Jacen.

— Merci, Jacen, dit-il.

— Je… je crois que je les comprends, avança le jeune homme.

Luke parut stupéfait, puis se perdit dans ses pensées.

— Tu ne les hais pas, parce que tu les comprends, murmura-t-il.

— Pardon ?

L’attention de Luke revint brusquement sur son neveu.

— Non, vas-y, continue…

— On m’a implanté une spore de servilité, rappelle-toi, qui a sérieusement perturbé mon système nerveux. Cela devait établir un lien de communication unilatéral, destiné à m’asservir et à me donner des ordres. Mais j’ai découvert que le système pouvait également fonctionner dans l’autre sens, produisant une sorte d’effet… télépathique. J’ai réussi à projeter mon esprit dans celui des Yuuzhan Vong et de certaines de leurs créatures. De temps en temps, je suis même parvenu à les influencer.

Luke le regarda, décontenancé.

— Tu as réussi à percevoir les Yuuzhan Vong dans la Force ?

— Non, différemment. Je n’arrive pas à me servir de la Force et de… de mon « sens Yuuzhan Vong » en même temps.

Luke, pensif, plissa les yeux.

— Est-ce que tu pourrais enseigner ça à d’autres personnes ?

Jacen s’était déjà posé plusieurs fois la question.

— Je ne sais pas, dit-il. Je ne crois pas. Je pense qu’il est nécessaire qu’on t’implante cette spore de servilité, ou bien un autre instrument de contrôle Yuuzhan Vong pour que cela puisse fonctionner en phase avec ton système nerveux. (Une pensée lui traversa l’esprit.) Je pourrais peut-être l’enseigner à Tahiri. Après tout ce qu’ils lui ont fait subir, il est fort possible qu’elle est encore suffisamment en phase avec les Yuuzhan Vong pour apprendre cette technique.

Luke fronça les sourcils.

— Tahiri considère que son expérience chez les Yuuzhan Vong est un traumatisme important. Et depuis lors elle a vécu d’autres expériences traumatisantes… Je ne voudrais pas l’obliger à revivre une expérience qui risquerait de lui causer d’irréparables dégâts.

— Moi non plus.

Jacen omit de parler à Luke des conséquences de ce qu’il venait tout juste de baptiser son « sens Vong ». Le fait, par exemple, qu’il lui arrivait encore, parfois, d’être en contact mental avec l’entité que les Yuuzhan Vong appelaient le Cerveau Monde, ce dhuryam qui contrôlait l’environnement de Coruscant. Le dhuryam et lui avaient conspiré contre la reconstruction de la planète, la sabotant de manière mineure, mais particulièrement énervante. Par une épidémie d’eczéma, par exemple. Jacen avait également suggéré au Cerveau Monde de créer une maladie qui affecterait les maw luurs, les créatures qui recyclaient les ordures des Yuuzhan Vong, au cours de ce que le dhuryam estimerait être une occasion importante ou bien une cérémonie.

Même si Jacen pouvait en théorie inspirer au Cerveau Monde des actions plus mortelles, comme empoisonner la nourriture des Yuuzhan Vong ou bien causer des catastrophes écologiques, il s’en était abstenu. Ses sentiments pour les Yuuzhan Vong s’étaient développés en même temps que son sens Vong : il ne se comporterait pas en meurtrier, ni en ennemi mortel. C’était en partie pour cela qu’il n’avait pas exposé à Luke ce talent si particulier. Il ne souhaitait pas que cette aptitude soit connue, de peur que quelqu’un veuille s’en servir comme d’une arme. Même s’il savait que Luke ne lui demanderait jamais une chose pareille, il avait senti que plus il garderait son secret, meilleur ce serait.

La conversation avec Luke fut interrompue lorsqu’un journaliste des actualités holographiques appela l’appartement pour demander une interview. Jacen demanda à l’unité de communication de bloquer tout appel ne provenant pas d’une personne connue ou d’un ami.

 

Le matin suivant, Jacen se sentait un peu nauséeux. Il prit un petit déjeuner très léger et retourna au lit. Luke s’en alla régler diverses questions politiques et Mara partit jouer les espionnes avec ses droïdes souris.

Jacen fut réveillé par un appel, ce qui signifiait que l’unité de communication avait identifié l’interlocuteur comme faisant partie de son cercle de connaissances. Il répondit et découvrit une paire de grands yeux verts entourée d’une cascade de cheveux blonds frisés. Danni Quee.

— Salut, Danni.

— Jacen ! J’espère que ça ne te dérange pas que j’appelle.

— Je ne suis ni malade ni en quarantaine. J’ai même le droit de parler à des gens !

— Super. Est-ce que ça te plairait de visiter un peu la ville ? Ou bien est-ce que tes amis ont déjà réquisitionné tout ton temps ?

— Non, c’est bon, j’ai tout mon temps, répondit Jacen. Je suppose que c’est parce que mes amis ont fait preuve d’autant de tact que toi. Mais, en fait, je préfère ne pas trop me balader dans des endroits publics car j’ai la fâcheuse habitude d’attirer l’attention.

Elle sourit et ses dents blanches éclatèrent au milieu de son visage bronzé.

— Je t’ai vu, hier, aux actualités holographiques. Ce manteau que tu portais, c’est quoi ? Un déguisement ?

— Non, pas vraiment.

— Si tu ne te sens pas d’apparaître en public, alors je propose de louer un hovercraft et d’aller au Récif de Mester.

— Bonne idée.

 

Vingt minutes plus tard, Jacen rejoignit Danni Quee sur un embarcadère public.

— J’aime bien ta tenue, dit-elle en le serrant dans ses bras.

Ils embarquèrent à bord de l’appareil et filèrent bientôt vers l’ouest, volant à une dizaine de mètres au-dessus de l’eau. Danni avait tout prévu : équipement de plongée pour deux personnes et collation légère.

— Quelle organisation ! remarqua Jacen.

— J’avais prévu de venir de toute façon. Si je n’étais pas parvenue à te contacter, j’aurais certainement appelé une amie pour qu’elle m’accompagne.

— Quelqu’un que je connais ? demanda-t-il en la regardant.

— Thespar Trode. Une autre astrophysicienne au chômage.

— Tu es au chômage en ce moment ?

Danni lui adressa un sourire en coin.

— On parlera de ça plus tard.

Le Récif de Mester se trouvait dans une zone tropicale et, en théorie, il n’était pas nécessaire de s’équiper d’une combinaison thermique. Jacen et Danni décidèrent tout de même d’en porter une pour éviter de se blesser. La réserve d’air était une petite unité dorsale très légère, qui extrayait silencieusement l’oxygène contenu dans l’eau avant de le fournir au plongeur et pouvait fonctionner sans discontinuer pendant une cinquantaine d’années. Par-dessus leurs combinaisons, ils passèrent une sorte de veste qui pouvait être gonflée ou dégonflée pour ajuster la flottaison. Elle était également dotée de poches dans lesquelles on pouvait glisser des poids afin d’éviter de remonter à la surface comme un bouchon.

Danni sortit sa paire de palmes.

— Méthode à l’ancienne, dit-elle. J’aurais très bien pu apporter deux unités de propulsion pour nous permettre de filer sous la surface de l’eau, mais cela aurait été dommage. C’est mieux quand il y a juste toi, l’océan et les récifs.

— Ça me convient parfaitement, répondit Jacen. De toute façon, nous ne sommes pas vraiment pressés d’aller où que ce soit.

L’eau était comme un bain chaud et salé. S’accoutumer à l’unité de respiration parut très naturel et ce système s’avérait beaucoup plus facile d’emploi qu’une combinaison pressurisée. La veste gonflable, en revanche, était un peu plus complexe à utiliser. Jacen passa quelques minutes à monter et à descendre jusqu’à ce qu’il soit en mesure d’ajuster convenablement sa flottaison. Une fois habitué à l’utilisation de la veste, il se rendit compte qu’il lui suffisait de penser à son action pour prendre de la profondeur ou bien remonter, sans recourir à la Force. L’expérience lui parut très relaxante.

Un courant serpentait le long du récif. Jacen et Danni se laissèrent simplement porter. Les quelques gouttes d’eau qui franchissaient l’embout du respirateur avaient le goût du sel, de l’iode et de milliers de micro-organismes. Au-dessus d’eux, le soleil jouait dans les ondulations de la surface de l’eau. D’un côté étincelaient les multiples couleurs de la barrière de récifs, de l’autre l’océan s’étendait à perte de vue. En dessous, le bleu des grandes profondeurs semblait disparaître dans l’infini.

Ils ne plongèrent pas en dessous de vingt mètres car, au-delà, la lumière s’amenuisait trop rapidement et ils souhaitaient tous deux admirer l’éclat des coraux. Les formations coralliennes, les éponges et les anémones de mer brillaient de milliers de nuances. Les poissons qui nageaient au milieu des récifs en paraissaient presque incandescents.

Il régnait à cette profondeur une certaine hiérarchie. Le corail s’élevait comme les remparts d’une citadelle, remontant occasionnellement vers la surface pour créer des tours. Les êtres vivants s’attachaient aux branches ou bien se dissimulaient dans leurs circonvolutions. Certains imitaient même les couleurs du récif, allant jusqu’à reproduire son immobilité et son aspect épineux. De nombreux poissons venaient chasser dans les méandres des coraux, à la recherche de leur dîner. Il arrivait que certains soient engloutis et digérés par quelque prédateur savamment camouflé. De grands poissons en forme de torpille remontaient parfois des profondeurs pour dévorer les créatures vivant dans les coraux. Ils surgissaient de l’océan pour frapper, tuer et dévorer, fondant par surprise sur les petits occupants des récifs, comme des pirates venus d’un autre monde.

Et tout ce qui se trouvait sur cette barrière était vivant ! Le corail, les éponges, les poissons, les crustacés, les anémones… Tout était vivant. Même l’océan lui-même, qui paraissait si vaste et si vide, grouillait de milliards de vies microscopiques. Et c’était bien ce qu’il y avait de plus merveilleux. Jacen invoqua la Force et laissa les résonances de la barrière de corail l’imprégner. Les myriades de petites créatures vivant en symbiose formèrent des schémas complexes et interconnectés dans l’éclat desquels Jacen se laissa dériver.

Quel changement par rapport à l’environnement des Yuuzhan Vong ! Chez eux également, tout était vivant, mais obscur, étrange, imprégné de sinistres fonctions. C’était comme vivre dans le vide. Ici, les coraux et ses habitants semblaient presque hurler leur existence à travers la Force.

Jacen projeta sa perception vers Danni. Elle était réceptive à la Force, mais son entraînement avait été des plus hétérogènes, car, entre les combats et ses travaux de recherches, elle n’avait eu finalement que très peu de temps à y consacrer. Il la sentit surprise lorsqu’il caressa son esprit, puis elle se détendit. Elle laissa l’énergie résultant de l’accumulation de ces milliards de vies minuscules habitant le récif couler en elle. Tous deux flottèrent le long de la barrière en une communion silencieuse, absorbés par la richesse et la complexité du récif.

Malgré leurs combinaisons isolantes, ils commencèrent à prendre froid et décidèrent donc de remonter à la surface. Danni déclencha le transpondeur qui ramènerait automatiquement l’hovercraft vers eux. L’engin vint flotter à cinq mètres au-dessus de l’eau et déploya une échelle pour qu’ils puissent rejoindre le bord. Ils ôtèrent leur combinaison de plongée et laissèrent le soleil réchauffer leur peau tout en déjeunant. Pour digérer, ils s’allongèrent tranquillement côte à côte sur le pont de proue.

— Tu as dit que tu étais au chômage ? demanda Jacen.

— Non, en fait je travaillais pour les Jedi jusqu’à ce que mon équipe commence à obtenir des résultats satisfaisants. Alors nos travaux ont été cooptés par le gouvernement. Après de nouvelles découvertes, eh bien, on ne peut pas dire qu’on nous a dispersés, mais certains membres de mon équipe m’ont été enlevés. En ce moment, je suis des cours de communication et d’infiltration pour pouvoir aider à la mise en place de cellules de résistance. Après, je compte bien retourner au combat.

Jacen roula sur le côté pour la regarder.

— Mais ton travail est crucial ! s’exclama-t-il. Tu as trouvé comment brouiller les signaux du yammosk. Cette seule découverte essentielle a permis à nos vaisseaux de survivre aux batailles récentes contre les Yuuzhan Vong. Pourquoi voudraient-ils séparer les membres de ton groupe ?

Elle plongea ses grands yeux verts dans ceux de Jacen.

— Les astrophysiciens ne sont pas essentiels à l’effort de guerre, dit-elle. J’ai effectivement découvert à l’origine comment les yammosks communiquent, c’est vrai. Mais, maintenant qu’on sait comment ils fonctionnent, le problème n’a plus rien de théorique, c’est un problème d’ingénierie. C’est aux ingénieurs de construire des appareils de brouillage, des leurres, et d’essayer d’inventer des méthodes de plus en plus ingénieuses pour duper les communications de l’ennemi. Tout le travail théorique a discrètement été mis à l’index. (Elle soupira.) J’ai travaillé si dur et si longtemps… Rien d’autre que ces Yuuzhan Vong n’a été aussi consciencieusement étudié sur une si courte période. Ce que Cilghal et moi avons réalisé aurait pu nous faire remporter une bonne demi-douzaine de prix scientifiques. Mais notre travail est resté secret. Les comités des trophées de la science n’en sauront jamais rien. Et, pour tout le monde, je ne suis qu’une gamine de vingt-trois ans, le nez dans les étoiles, sans emploi et sans espoir d’en trouver un.

Elle s’étira de façon lascive et observa le ciel. Une étrange expression apparut sur ses traits et elle se releva, s’assit en tailleur et se pencha vers Jacen.

— Cependant, il reste une partie du travail théorique qui n’a pas été mise à l’index. Je ne te l’ai pas dit ? Il y a encore quelque chose en cours et c’est plutôt bizarre.

— Vas-y, raconte, dit Jacen en clignant des yeux.

— Certains membres de mon groupe travaillaient sur des détails de la bioscience des Yuuzhan Vong. Ils ont fait une découverte et, immédiatement, leur travail a été réquisitionné par une toute nouvelle imité des Services de Renseignement. Ils travaillent à présent sous la tutelle d’un groupe de Chiss qui dépendent directement de Dif Scaur.

— Scaur travaille avec les Chiss, maintenant ? demanda Jacen, surpris.

— Ils ont quitté la planète. Aucun de mes messages à l’intention de mes amis et collègues n’est parvenu à destination. A chaque fois, je reçois la même réponse formatée signalant que mes correspondants sont momentanément absents du réseau HoloNet.

— Les légendaires laboratoires spatiaux secrets… murmura Jacen.

— Oui, et pourquoi les Chiss ?

— Tu dis que vous étiez en train de travailler sur la bioscience des Yuuzhan Vong, c’est ça ? (Jacen médita quelques instants, puis secoua la tête.) Le problème, c’est que nous n’en savons pas assez sur les Chiss pour comprendre leur rôle dans tout ça. Nous ne savons même pas de quelle planète ils sont originaires. Peut-être que leur bioscience à eux est très en avance sur la nôtre. Peut-être qu’ils savent quelque chose des Yuuzhan Vong que nous ne savons pas. Peut-être que leur drôle de métabolisme leur permet de comprendre un peu mieux les aptitudes des Yuuzhan Vong.

— Leur drôle de métabolisme ?

— Ils sont bleus. Ça doit bien représenter un indice, non ?

Danni éclata de rire. Jacen l’observa.

— Est-ce que tu connais la nature des découvertes de tes collègues bioscientifiques ?

— Ça a un rapport avec la génétique des Yuuzhan Vong, répondit Danni en hochant la tête. Qui ressemble d’ailleurs d’assez près à la nôtre, en fait…

Jacen cilla.

— C’est bizarre, considérant qu’ils viennent d’une autre galaxie, non ?

— Ils possèdent une séquence de gènes différente des nôtres, dit Danni. Une séquence unique, que l’on trouve dans toutes les formes de vie Yuuzhan Vong. Le corail yorik, les yammosks, les plantes et les individus eux-mêmes. On la trouve partout.

— Crois-tu que c’est cela qui peut les rendre invisibles dans la Force ?

— Peut-être, dit Danni en haussant les épaules. Les généticiens ne savent pas. Enfin, ils ne le savaient pas la dernière fois que je me suis entretenue avec eux…

Le silence tomba. Jacen sourit à contrecœur.

— Nous ne devrions probablement pas parler de ça, dit-il. Je ne sais pas ce que bricole Dif Scaur avec les Chiss mais c’est certainement très secret, bien au-delà de nos spéculations. Nous risquons de nous tromper et ça pourrait nous attirer des ennuis à tous les deux.

— Tu veux dire, même en formulant des spéculations ici, au milieu de nulle part ?

— Je ne serais pas surpris de découvrir que nous sommes surveillés d’une manière ou d’une autre, dit Jacen. J’ai passé des semaines et des semaines emprisonné chez les Yuuzhan Vong. Les Services de Renseignement doivent se demander si je n’ai pas changé de bord. (Il regarda vers le ciel et fit un grand signe de la main.) Tiens, fais coucou aux satellites d’observation…

Danni rit à nouveau et fit à son tour de grands signes de la main aux surveillants invisibles. Puis elle se tourna vers Jacen.

— Bon, assez de danger pour aujourd’hui, dit-elle. J’ai l’impression de me sentir plus en sécurité quand je suis sous l’eau.

— Moi aussi.

Danni et Jacen conduisirent l'hovercraft à quelques kilomètres plus au sud le long de la barrière de récifs. Ils enfilèrent leurs combinaisons. Dès qu’ils furent descendus à proximité des coraux, le jeune homme s’ouvrit de nouveau à la Force et laissa les éclairs de vie environnants emplir son esprit. Il projeta sa perception vers Danni et tous deux profitèrent du complexe scintillement des coraux jusqu’à ce que vienne l’heure de retourner à Heurkea.

 

Le lendemain, Jacen retourna à la barrière de corail avec Danni. Cette fois, ils avaient emmené Thespar Trode avec eux. C’était une femelle Ishi Tib et sa combinaison de plongée avait été adaptée à sa tête énorme et à ses yeux pédonculés. La conversation des deux astrophysiciennes se mua vite en une discussion technique. Jacen ne dit rien. Il appréciait cette démonstration d’intelligence même s’il ne pouvait pas les suivre. Tout en les écoutant, il laissa sa perception de la Force descendre au milieu des coraux pour que son esprit puisse s’imprégner de la vie qui y grouillait.

Au retour, il invita Thespar et Danni à l’appartement pour se restaurer. Il ouvrit la porte. Jaina se tenait dans l’antichambre, toujours vêtue de sa combinaison de pilote. Son sac militaire en toile était ouvert sur le sol. Jaina et Jacen se regardèrent longuement, en un moment de joie presque douloureux. Le lien mental qui unissait les jumeaux se mit à crépiter sous l’action de milliers d’émotions partagées, de souvenirs communs moissonnés depuis le jour de leur naissance. Ils se précipitèrent l’un vers l’autre pour s’embrasser, s’enlacer et rire jusqu’à ce que les larmes leur montent aux yeux.

La famille était un autre aspect de sa vie que Jacen avait cru abandonner aux Yuuzhan Vong. La sensation de retrouver enfin sa sœur jumelle lui coupa le souffle. C’est alors qu’il aperçut l’insigne ornant la combinaison de Jaina.

— Tu es major, maintenant ?

— Mieux que ça, je suis une vedette des actualités holographiques. Sans oublier le fait que je suis une déesse !

Les yeux de Jaina se posèrent sur les deux jeunes femmes qui attendaient à la porte. Elle reconnut Danni Quee, bien entendu, et on lui présenta Thespar, l’amie de Danni.

— Je dois me changer et filer, dit-elle. J’ai des ordres à communiquer au quartier général. (Elle se tourna vers Jacen.) Et puis j’ai un message personnel de l’amiral Kre’fey destiné à Oncle Luke. Il veut plus de Jedi !

Jacen en fut agréablement surpris.

— Ah, enfin quelqu’un qui veut bien de nous !

Elle sortit de son sac en toile un uniforme plus officiel et disparut dans la chambre voisine pour se changer. Lorsqu’elle reparut, elle se dirigea immédiatement vers la porte.

— On se voit plus tard, d’accord ? dit-elle en marquant une pause sur le seuil. Je veux que tu me racontes tout.

Puis elle disparut.

Jacen, surpris, regarda la porte se refermer. Son esprit le picota et il sentit son lien psychique avec Jaina s’amenuiser au fur et à mesure qu’elle s’éloignait. Il s’était attendu à un peu plus pour ses retrouvailles avec sa sœur. A beaucoup plus, même.

Elle ne m’évite pas, songea Jacen. Non, pas exactement. Mais elle a apparemment besoin de temps pour rassembler ses esprits avant de me rencontrer de nouveau. Il comprit vaguement pourquoi.

Jacen partagea quelques fruits-joyaux, trouvés dans l’unité de réfrigération, avec ses invitées, puis les deux astrophysiciennes s’en allèrent.

Luke et Mara revinrent à l’appartement avant le retour de Jaina. Lorsque cette dernière arriva finalement, elle était très nerveuse, les muscles de son cou et de ses épaules semblaient fort tendus. Elle fit d’abord part à Luke de la requête de Kre’fey concernant un recrutement de pilotes Jedi. Luke fut ravi de constater qu’il y avait encore quelqu’un, au sein de l’armée, qui souhaitait travailler avec eux. Il demanda à Jaina de lui raconter son action sur Obroa-skai, ce qui les amena tout doucement à discuter des activités diverses de la jeune femme depuis la chute de Coruscant – tout particulièrement de la bataille de Hapes et comment elle était parvenue à utiliser les basals dovins contre leurs propriétaires Yuuzhan Vong afin de semer confusion et destruction dans les rangs adverses. Ils parlèrent de son état d’esprit à ce moment-là. De son obsession, de sa fureur. Et des ténèbres.

Jaina regarda Jacen de façon lugubre.

— Je te croyais mort, dit-elle. Tout comme Anakin. Pour moi, le nombre des disparus n’avait plus d’importance. J’étais prête à faire le grand saut à mon tour.

Il semble plus facile pour Jaina, songea Jacen, d’en parler à Mara et à Luke que de m’en parler en tête à tête. Luke s’en était également aperçu.

— Pour envahir l’esprit, dit Luke, les ténèbres se servent davantage du désespoir que de la colère ou de la soif de pouvoir. Elles s’appuient sur la croyance que, au final, tout ne sera plus que douleur, tristesse et mort, que plus rien d’autre n’a d’importance. (Il adressa un coup d’œil à Jaina.) Je tiens à te confirmer que, pour nous, tout a de l’importance. Que le désespoir est une illusion que les ténèbres créent pour te voiler la vue.

Jaina baissa les yeux.

— Merci, Oncle Luke, dit-elle.

Jaina ramassa son sac de toile et alla s’installer dans la chambre de Jacen. Il voulut parler avec elle avant de dormir mais elle lui répondit qu’elle était épuisée par le long voyage depuis Kashyyyk. Elle lui promit qu’ils parleraient le lendemain matin.

Jacen s’endormit immédiatement et rêva de la barrière de corail. Il se réveilla deux heures avant l’aube, lorsque ses parents arrivèrent enfin à l’appartement. A moitié endormi, il apparut sur le pas de la porte de sa chambre. Son père poussa un cri de joie semblable à celui d’un Wookiee. Il souleva son fils dans ses bras pour le faire tourner autour de lui comme s’il s’agissait d’un tout petit enfant.

Leia fut un peu moins démonstrative, mais ses émotions étaient aussi puissantes. Jacen les sentit dans la Force pendant que son père le faisait tournoyer dans les airs. Quand Han accepta enfin de reposer Jacen, le jeune homme alla embrasser sa mère. Il perçut alors chez elle un sentiment de profonde joie.

La foi de Leia ne l’avait jamais abandonnée. Son mari l’avait jadis délaissée avant de revenir vers elle, totalement changé. La Nouvelle République qu’elle avait créée tremblait sur ses bases. L’un de ses trois enfants avait été tué, un autre emprisonné, et elle avait assisté, impuissante, à la glissade du troisième vers le Côté Obscur. Leia, malgré tout, avait tenu bon. Leia, seule, avait soutenu que Jacen était en vie. Aujourd’hui, Jacen était là, dans l’étreinte de ses bras, confirmant à sa mère qu’elle n’avait pas gardé la foi en vain.

Les heures qui suivirent furent aussi exubérantes que chargées d’émotion. Han, plus joyeux que jamais, semblait rebondir d’un mur à l’autre quand il n’essayait pas de dissimuler les larmes qui perlaient au coin de ses yeux.

C-3PO installa les affaires de Han et de Leia dans la chambre que partageaient Jacen et Jaina. Les jumeaux ramassèrent leurs propres effets et allèrent dormir dans le salon. C-3PO, qui n’avait nulle part où aller, s’appuya contre un mur et se mit en veille. A peine Jacen avait-il fermé les yeux qu’il entendit frapper doucement à la porte. Les gardes du corps Noghri de Leia, qui n’avaient pas fait partie de l’expédition sur Bastion, venaient au rapport. On les posta dans le couloir, devant l’entrée. Une heure plus tard, ils frappèrent à nouveau, cette fois pour signaler que Vergere avait été libérée et qu’on ne s’était guère soucié de son hébergement.

Jacen fut ravi de revoir Vergere, mais l’appartement commençait à devenir un peu trop petit pour tout ce monde. Même après que Jaina eut proposé d’aller s’installer dans les quartiers que l’armée avait mis à la disposition des officiers célibataires. Fort heureusement, la mère de Jacen, en tant que princesse, avait beaucoup de relations.

La famille Solo, en compagnie de C-3PO et des Noghri, emménagea dans un autre appartement. Jacen espérait que Vergere pourrait venir avec eux, mais Luke insista très fermement pour que Vergere reste son invitée. Ce qui était probablement une bonne idée, se dit Jacen un peu plus tard. Le jour où ses parents apprendraient ce que Vergere avait fait subir à leur fils pendant son emprisonnement, ils poseraient certainement un regard beaucoup moins indulgent sur la drôle de petite créature. Et Jacen détesterait sans aucun doute l’idée de se placer entre Vergere et le blaster de Han.

Le déménagement prit une bonne partie de la journée. Une fois l’installation terminée, Jaina se présenta au quartier général du commandement de la Flotte pour savoir si une quelconque décision avait été prise concernant la requête de Kre’fey d’engager plus de pilotes Jedi. Elle ne revint que fort tard dans la soirée.

Le matin suivant, Jacen se leva, alla s’asseoir au pied de son lit et commença ses exercices de méditation Jedi. Il invoqua la Force et s’en servit pour modifier ses différentes fonctions vitales, ralentissant ou accélérant les battements de son cœur, canalisant la circulation de son sang dans ses muscles – comme pour se préparer au combat –, dans ses organes – comme pour parer à un manque d’oxygène – ou à la surface de sa peau – pour aider à l’évacuation d’une chaleur excessive et refroidir son corps.

Il sentit Jaina se réveiller dans les perturbations de la Force. Il perçut également, émanant d’elle, une vague de ressentiment. En soupirant, Jaina sortit du lit et vint s’asseoir sur le sol à côté de son frère. Elle entreprit de fusionner ses méditations avec celles de Jacen. Ils synchronisèrent leur respiration et leur rythme cardiaque, soulevèrent de petits objets en lévitation et se livrèrent à un duel mental au sabre laser. Ils visualisèrent une image commune de leur échange, matérialisant chaque mouvement, chaque parade, le balayage de leurs pieds sur le sol, le bourdonnement des armes et l’impact des lames de lumière s’entrecroisant. La technique de combat de Jaina était méthodique et froide, dépensant très peu d’énergie, autorisant les retraites jusqu’à ce que des ouvertures se présentent afin de riposter impitoyablement. Jacen, lui, s’allouait plus de liberté, se lançant dans des attaques brusques et sauvages, tourbillonnant pour se placer hors de portée, cherchant à attaquer de façon inattendue. Il perdit l’avantage à maintes reprises et, au cours de ces fausses « morts », il perçut la résolution de sa sœur, froide comme l’acier.

Après, comme exercice de relaxation, Jacen projeta sa perception dans la Force, tout autour de lui. Il sentit ses parents endormis dans leur lit, les deux Noghri (un en faction et un somnolant) et les étincelles de vie provenant des appartements voisins. Recherchant une sensation à la complexité dynamique et merveilleuse, similaire à celle éprouvée sur les récifs, il projeta sa perception encore plus loin, vers les profondeurs entourant la cité flottante de Heurkea. Il perçut la masse de vies microscopiques, les bans de poissons qui croisaient autour de la ville comme s’il s’agissait de la leur, les animaux des grandes profondeurs profitant de l’obscurité pour s’attaquer à leurs proies…

Jaina s’arracha à l’expérience mentale. Jacen ouvrit les yeux brusquement et la vit se lever.

— Désolée, dit-elle. Mais je n’ai pas le temps de m’aventurer si loin…

— Et pourquoi pas ? demanda-t-il en battant des paupières.

Elle ouvrit une armoire et s’empara de son uniforme.

— Il faut que je reste concentrée sur ma mission. Je ne peux pas me permettre de laisser mon esprit vagabonder dans l’océan, je dois me limiter à ce qui pourrait m’être utile.

— Mais c’est une réflexion sur la vie, dit Jacen. Et la Force est la vie…

Jaina le dévisagea, laissant la colère poindre dans son regard.

— La vie ne fait plus partie de mes activités, dit-elle. Mes activités sont à présent concentrées sur la mort. Je tue et j’essaie de ne pas me faire tuer. Tout le reste… (Elle fit un vague geste de la main.)… c’est du luxe…

— Jaina… commença Jacen.

— Chaque seconde passée à flotter dans l’océan me rend plus faible, l'interrompit-elle. Et à chaque seconde les Yuuzhan Vong deviennent plus forts. Donc, ce que je vais faire, là… (Elle ouvrit la porte.) c’est prendre une douche, passer mon uniforme et me rendre au quartier général pour voir si l’amiral Sovv n’aurait pas un message pour moi. Si ce n’est pas le cas, j’irai trouver quelques pilotes et nous discuterons de tactique. Peut-être que j’apprendrai un truc ou deux qui me permettront de conserver mon escadron en vie au cours du prochain affrontement. Allez, à plus tard. Peut-être.

— Tout n’est qu’une question d’équilibre, Jaina, dit Jacen.

Mais elle referma la porte du cabinet de toilette derrière elle.

Le jeune homme se leva et s’habilla. Plus tard, pendant le petit déjeuner, il confia à sa mère ce que Jaina lui avait déclaré. Leia poussa un soupir.

— Jaina et moi, nous avons déjà eu une petite conversation houleuse à ce propos sur Hapes, dit-elle. Je l’ai suppliée de prendre du repos, de s’éloigner un peu de tout ça, d’envisager les choses sous un autre angle. Mais elle ne m’a pas écoutée. Et je sais aujourd’hui jusqu’où je serais prête à aller si cette dispute devait reprendre.

— Oncle Luke nous a expliqué que le désespoir était un portail par lequel les ténèbres pouvaient s’immiscer, dit Jacen.

Leia secoua la tête.

— Jaina en sait beaucoup sur les ténèbres, dit-elle. Elle y a glissé, en est à peu près revenue et je n’arrive pas à croire qu’elle serait à nouveau prête à refaire le plongeon. Ce que je crains, maintenant, c’est qu’elle s’absorbe trop dans son travail, qu’elle s’impose des tâches impossibles les unes après les autres jusqu’à ce qu’elle craque.

— C’est sûr, c’est pas le genre de la famille, ça… remarqua Jacen en dévisageant sa mère.

Leia éclata de rire.

— De toutes les choses que Jaina aurait pu hériter de moi, il a fallu qu’elle choisisse ma boulimie de travail. (Elle tendit la main et prit celle de Jacen.) Jaina est une dure à cuire, tu sais. Elle va s’en sortir. Le fait de savoir que l’un de ses frères est toujours vivant va certainement l’aider.

— Eh bien, j’aurai au moins servi à quelque chose, dit Jacen en essayant de sourire.

 

Quatre jours après son élection, Cal Omas convoqua l’Amiral Ackbar et Winter dans l’hôtel qui abritait désormais le gouvernement. La rencontre était relativement confidentielle. Les seuls autres invités étaient Luke, Ayddar Nylykerka, chef des Services de Renseignement de la Flotte, Dif Scaur, directeur des Services de Renseignement de la Nouvelle République, et le Suprême Commandeur Sien Sovv.

Des droïdes CYV patrouillaient dans le couloir. Les agents de Scaur – ainsi que ceux de Nylykerka, mais en cachette du premier – avaient scrupuleusement inspecté la pièce à la recherche de micros. La salle était petite, sans fenêtre. Elle était équipée d’une petite table de marbre blanc, bombée comme un coquillage et crénelée d’entailles prévues pour chacun des participants. Le long d’un mur, une petite fontaine cascadait en carillonnant et produisait une odeur de saumure.

Ackbar portait son vieil uniforme. Sa peau était grise, ses mains tremblaient. Winter dut l’aider à se lever lorsque Cal Omas pénétra dans la salle. Mais la voix du Mon Calamari était ferme, dénuée de ces chuintements que Luke avait précédemment détectés, et il félicita Cal pour son élection.

— J’aimerais d’abord vous remercier d’avoir accepté de me rencontrer, dit Ackbar. Je sais que vous êtes tous fort occupés à l’organisation du nouveau gouvernement.

— Nous ne sommes jamais trop occupés pour nous entretenir avec l’un des plus grands héros de la Rébellion, répondit Cal Omas. Vous avez été mon supérieur pendant de nombreuses années, j’espère que vous n’imaginerez pas que je puisse jouer de mon autorité sur vous aujourd’hui.

— C’est Borsk Fey’lya qui a insisté pour que vous partiez en retraite, déclara Sien Sovv. Je vous supplie de croire que personne, au sein des Forces de Défense, ne souhaitait votre départ – moi le dernier.

— C’est très aimable, dit Ackbar. (Ses mains tremblantes pianotèrent sur le databloc posé sur la table devant lui.) Cela dit, la retraite peut avoir du bon. J’ai à présent beaucoup de temps pour réfléchir. Et j’ai beaucoup réfléchi aux Yuuzhan Vong, la plus grande menace pour la sécurité de cette galaxie depuis Palpatine. (Il s’appuya de ses grosses mains sur la table.) Mes spéculations ne sont pas totalement hasardeuses. Je possède encore pas mal d’amis au sein du gouvernement qui ont eu la gentillesse de me fournir des données. (Il releva la tête vers les autres.) On ne m’a rien communiqué de très secret, mais j’ai eu accès à un grand nombre d’analyses.

Luke baissa les yeux vers la table polie et observa le reflet des visages de Nylykerka et de Dif Scaur. Tous deux conservaient prudemment une expression de parfaite innocence. Le visage aux lourdes bajoues de Sien Sovv demeura de marbre également.

— Bien entendu, reprit Ackbar, j’ai servi la République pendant de très nombreuses années, accédant aux postes les plus élevés. Et je comprends parfaitement comment les rouages fonctionnent. Y compris les rouages datant de l’époque de Borsk Fey’lya. (Il hocha sa lourde tête.) Je commencerai donc mon petit tour d’horizon par l’armée. Nous sommes de plus en plus forts. Lorsque cette guerre a commencé, des crédits ont été attribués afin d’augmenter notre puissance d’attaque. Plus de vaisseaux capitaux, plus de chasseurs, plus d’appareils de transport, des forces terrestres plus importantes… Les chantiers de Kuat, Talaan, Corellia et ici, sur Mon Calamari, ont été touchés par la guerre, mais pas totalement détruits. Ils sont en mesure de nous livrer des vaisseaux capitaux. Des entreprises moins conséquentes, dispersées dans tout l’espace allié, sont également à même de nous fournir en très grand nombre les engins de plus petite taille.

Luke savait que cela avait pris du temps. D’abord, il fallait construire les droïdes. Après, les droïdes construisaient une usine, non pas destinée à l’assemblage de vaisseaux de guerre mais à celui d’autres droïdes. Ensuite, la première vague de droïdes – et ceux assemblés dans la première usine – construisait une autre usine, prévue pour la fabrication des vaisseaux. Pendant ce temps, la première usine continuait à produire encore plus de droïdes qui s’en allaient eux-mêmes construire de nouvelles usines, destinées par la suite à l’assemblage de nouveaux vaisseaux. On pouvait presque à l’infini produire des droïdes capables de construire des usines susceptibles de fabriquer des vaisseaux pour peu que quelqu’un puisse financer l’opération. Une fois le processus en route, le seul moyen de l’arrêter était de détruire toutes les usines, vaisseaux et droïdes. Si un seul droïde venait à survivre, ce même robot pourrait, tout seul, redémarrer toute la production en chaîne en construisant un deuxième droïde… Ce qui signifiait que, dès que les premiers vaisseaux seraient affrétés, la livraison d’appareils supplémentaires ne se tarirait jamais et que leur croissance serait exponentielle au fur et à mesure que de nouvelles équipes de droïdes mettraient de nouvelles usines en route.

— Nous disposons également de nouvelles recrues, continua Ackbar. En dépit des efforts des Brigades de Paix et de tous ceux qui collaborent avec les Yuuzhan Vong, de nombreux citoyens idéalistes se sont portés volontaires pour rejoindre l’armée. Beaucoup proviennent des populations de réfugiés, préférant les risques du combat à la vie en exil. Je puis vous dire que les réfugiés dont les planètes natales ont été détruites ou occupées constituent des recrues hautement motivées. Ils souhaitent reconquérir leur monde et se venger de l’ennemi. La seule contrainte dans le recrutement de ces réfugiés fut, en raison de leur grand nombre, de construire suffisamment de camps d’entraînement et d’engager assez d’instructeurs pour s’occuper d’eux. Mais nous y sommes arrivés.

Luke savait que la construction des camps d’entraînement et le recrutement des instructeurs suivaient un schéma semblable à celui de la construction des vaisseaux et des droïdes. A la seule différence que les instructeurs militaires ne pouvaient pas être assemblés ou produits industriellement. Cependant, en plus du grand nombre d’entraîneurs dont disposait l’armée au début de la guerre, on comptait également beaucoup de vétérans de la Rébellion pressés de revenir servir sous les drapeaux pour enseigner aux nouvelles générations les tactiques qu’ils connaissaient.

— Le problème quand on se retrouve à la tête de ces nouveaux vaisseaux et de ces nouvelles formations, c’est qu’on n’a pas eu l’occasion de les tester, continua Ackbar. Les actions réussies contre les Yuuzhan Vong ne sont pas nombreuses. Il n’existe donc pas de standard dans la doctrine de la Flotte qui pourrait s’inspirer de l’expérience cumulée des victoires. Maintenant que les équipes de chercheurs de la Nouvelle République sont parvenues à diminuer temporairement l’avantage donné aux Yuuzhan Vong par leurs… (Il consulta son databloc.)… par leurs « yammosks »… (Ses lèvres roses articulèrent délicatement le mot étranger.)… nous pouvons nous permettre de prendre de plus grands risques avec nos forces. Mais nous devons encore lancer de nouvelles recrues contre des ennemis expérimentés et, selon le cours normal des événements, nous devons être prêts à essuyer de lourdes pertes. Nos problèmes ont été, de plus, amplifiés par des échecs rencontrés au niveau des services de renseignement. (Les deux chefs concernés, nota Luke, acceptèrent ce jugement sans la moindre surprise.) Nous avons été envahis par un ennemi inconnu, dont nous ne connaissons ni le nombre ni les origines ni les motivations. Nous n’avons pas réussi à nous infiltrer chez eux. Nous ne savons rien de leur monde, nous ne comprenons pas leur langue. Même les espions Bothan, à la réputation si infaillible, s’y sont cassé les dents. Nous avons remédié à ces manques, dans une certaine mesure, avec une meilleure connaissance de l’ennemi et en infiltrant des agents sur les planètes occupées par nos adversaires. Voilà pour nos capacités.

Ackbar marqua une pause et, d’une de ses larges mains, dégrafa le haut de son col.

— J’aimerais à présent continuer par une analyse de l’ennemi. (Il s’interrompit, s’attendant peut-être à ce qu’on lui pose une question.) L’invasion Yuuzhan Vong de notre galaxie a un caractère religieux. Peut-être que les chefs ennemis se servent du prétexte mystique pour dissimuler d’autres raisons qui seraient beaucoup moins nobles ? En tout cas, il ne fait aucun doute que les Yuuzhan Vong croient sincèrement que leurs dieux leur ont fait cadeau de nos planètes. Parce qu’ils sont convaincus de cela, les Yuuzhan Vong forment un groupe d’envahisseurs très motivés, dévoués à la cause, tenaces et unis par la même idéologie. Même si les expériences de Jacen et d’Anakin Solo nous suggèrent que les Yuuzhan Vong connaissent quelques dissensions dans leurs rangs, que leurs chefs ne partagent pas toujours le même avis, ils représentent un front unifié face à n’importe quelle personne extérieure. Nos tentatives pour les diviser ou pour les corrompre se sont révélées infructueuses. D’après ce que je sais – et mes connaissances en la matière sont loin d’être complètes –, nous n’avons jamais été capables de retourner le moindre Yuuzhan Vong à notre avantage pour faire de lui un espion ou un informateur. Même s’il est fort possible que la foi et l’idéologie des Yuuzhan Vong battent de l’aile à notre contact, entraînant ainsi quelques défaites de leur côté, même si notre galaxie s’avère plus complexe qu’ils ne se l’étaient imaginé, nous ne pouvons pas escompter parvenir à diviser un groupe de Yuuzhan Vong et les utiliser comme instrument de nos futures victoires.

Pendant qu’Ackbar parlait, Winter s’était levée silencieusement. Elle alla jusqu’à la petite cascade qui coulait le long du mur et trempa un mouchoir dans l’eau salée. Elle revint vers l’amiral et humidifia avec délicatesse et efficacité les parties apparentes de sa peau grisâtre.

Dif Scaur poussa un violent éternuement. Ackbar marqua une pause pendant quelques instants avant de reprendre.

— Les plus grands succès de l’ennemi sont la résultante de leurs excellentes méthodes de renseignement. La galaxie a été très méticuleusement étudiée avant la première attaque. Des espions et des informateurs ont été postés ou recrutés dans toutes les zones clés. Notre gouvernement a été infiltré jusqu’aux plus hauts niveaux de sa hiérarchie. Des agents comme Nom Anor ont déclenché des conflits civils qui ont détourné notre attention de la véritable menace d’invasion. Les agents ennemis, pions, pantins et collaborateurs, ont contribué à maintenir le déséquilibre en notre défaveur pendant les premiers mois critiques de la guerre. Aujourd’hui encore, nous ne disposons pas des moyens de vérifier si nos secrets les mieux gardés ne sont pas déjà tombés aux mains de l’ennemi. Le fait de savoir que les Yuuzhan Vong pourraient être parfaitement au courant de nos intentions et agissements a paralysé nos chefs, au point qu’ils pèchent à présent par excès de prudence.

Luke regarda Sien Sovv. Sa face aux lourdes bajoues était dénuée de la moindre expression. Pourtant, Luke ne perçut aucun désaccord émanant du Sullustain à l’écoute de cette analyse.

— Les pertes en matériel n’ont que peu d’importance pour les Yuuzhan Vong, continua Ackbar. Apparemment leurs vaisseaux sont cultivés et cueillis comme des fruits interstellaires. Ils peuvent se munir d’autant de vaisseaux de guerre qu’ils veulent tant qu’ils ont la possibilité de recruter suffisamment de Yuuzhan Vong, ou de collaborateurs, susceptibles de servir d’équipage. Tiens, justement, les équipages… J’ai là sur mon databloc quelques estimations des forces Yuuzhan Vong initiales et des pertes qu’elles ont essuyées depuis le début de la guerre. Ce sont des approximations, puisque nous ignorons tout de leurs réserves extragalactiques, et le nombre de leurs morts pourrait être un tant soit peu exagéré. (Il s’éclaircit la gorge.) C’est souvent le cas, notez. Vous pouvez étudier ces chiffres, si vous le souhaitez, sur vos propres datablocs, je m’apprête à vous les transmettre.

Luke s’empara de son databloc et enclencha la fonction de réception. Des chiffres défilèrent sur l’écran. Estimation de la population totale, estimation de la population de la caste des guerriers, estimation des pertes infligées par les forces de la Nouvelle République (principalement dans la caste des guerriers) et, par extension, pourcentage des pertes essuyées par la caste des guerriers elle-même.

Luke regarda Ackbar, stupéfait.

— Nous avons éliminé près d’un tiers de leurs guerriers ?

— C’est ce que nous indiquent ces chiffres, répondit Ackbar.

— Ce sont des approximations, remarqua Cal Omas.

— Ce sont les meilleures dont nous puissions actuellement disposer, commenta Ackbar. Et je ne pense pas qu’elles soient si éloignées de la vérité.

— Nos estimations, aux Services de Renseignement de la Nouvelle République, indiquent plus ou moins la même chose, précisa Dif Scaur.

Luke était toujours surpris de constater que quelqu’un d’aussi malingre et d’aussi pâle que Scaur puisse posséder une voix aussi puissante.

— Les Yuuzhan Vong ont perdu un groupe entier de combat à Obroa-skai, signala Nylykerka. Ils  ont échoué à Hapes. Et les pertes Yuuzhan Vong lors des assauts de Fondor et de Coruscant ont été très lourdes. Même si, dans ces deux cas, il s’agit d’une victoire pour nos adversaires.

— Ils ne peuvent plus se permettre de remporter d’autres victoires à ce prix, ajouta Scaur.

— Si ces statistiques sont justes, continua Cal, je ne veux pas envoyer nos flottes affronter l’ennemi sur la base d’un jeu de supputations.

— Il existe des moyens de vérifier si ces chiffres sont justes, dit Ackbar. Si les Yuuzhan Vong organisent une offensive de grande importance sur une cible majeure dans les deux mois qui viennent, nous saurons qu’ils ont des bataillons entiers de guerriers à sacrifier. Si, au lieu de cela, ils renforcent les positions gagnées, alors nous saurons que leurs pertes les auront poussés à se montrer plus prudents.

Ayddar Nylykerka et Sien Sovv échangèrent un regard gêné. La pensée d’une attaque massive sur Corellia, Mon Calamari ou n’importe quelle autre cible importante avait certainement dû leur effleurer l’esprit auparavant.

— Les guerriers Yuuzhan Vong sont courageux, dit Ackbar. Ils sont agressifs, obéissent aveuglément aux ordres, ne se replient jamais – ou bien à contrecœur – et ne se rendent jamais. (Il inspira profondément avant de pousser un très long soupir.) Etant donné leurs avantages, nous avons de la chance qu’ils possèdent également de telles faiblesses.

Luke dévisagea Ackbar. Bien sûr ! Pourquoi n’y avait-il pas songé plus tôt ?

— Des faiblesses ! (Le cri de stupéfaction de Scaur résonna dans la salle.) Vous appelez ça des faiblesses ?

— Bien entendu, répondit Ackbar. Nous pouvons compter sur nos ennemis pour faire preuve de travers. Ce qui signifie qu’ils sont prévisibles. Même si ces comportements, pris séparément, sont fort admirables, additionnés les uns aux autres ils constituent des faiblesses aussi importantes que fatales ! (Il leva une de ses grosses mains.) Imaginez un peu : la bravoure et l’agressivité entraînent un comportement très téméraire. On ne peut les utiliser qu’en les canalisant convenablement. L’obéissance aveugle signifie un manque total de flexibilité. Se battre jusqu’à la mort, ne jamais se rendre, c’est tourner le dos aux autres options possibles. Nous pouvons utiliser ces travers, ajoutés les uns aux autres, pour attirer les Yuuzhan Vong dans un piège dont ils ne sortiront jamais. (Ackbar leva un doigt, aussi haut que sa main palmée le lui permettait.) La témérité va faire tomber les Yuuzhan Vong dans le piège. (Il leva un deuxième doigt.) L’obéissance aveugle signifie que les subordonnés Yuuzhan Vong n’oseront pas critiquer les ordres de leurs supérieurs, même en cas de doute. (Un troisième doigt.) L’obéissance aveugle signifie également que les guerriers ne feront preuve d’aucune initiative et qu’ils continueront de suivre les plans de leurs officiers, même lorsque ces plans se seront avérés inadaptés à la situation. Ils ne changeront pas de tactique sans l’autorisation de leurs supérieurs, même si ces supérieurs sont hors de portée et dotés une vision irréaliste des faits. (Ackbar leva un quatrième doigt.) Parce que les Yuuzhan Vong considèrent que la mort est inévitable et ne doit pas être retardée, ils continueront à se battre même pour une cause désespérée. La croyance en leur cause et le courage de leurs supérieurs retarderont un éventuel ordre de repli. Il sera alors trop tard. Ces faits ajoutés les uns aux autres, mes amis, forment une arme avec laquelle nous détruirons les Yuuzhan Vong !

Il ferma la main et abattit son poing sur la table. Cal Omas sursauta.

— Un piège, dit Luke, nécessite un appât.

Ackbar émit un petit grognement d’approbation pendant que Winter lui passait le mouchoir humide sur le front.

— Et l’appât doit être réel. Il doit représenter une chose pour laquelle les Yuuzhan Vong seraient prêts à employer les grands moyens.

— Et cet appât serait ? commença Cal Omas.

— Eh bien, nous, je suppose ! répondit Dif Scaur en faisant un tour de table du regard. Le gouvernement. (Ses yeux, au fond de ses immenses orbites creuses, se posèrent sur Ackbar.) Quel délai envisagez-vous ? Quand pensez-vous mettre ce piège en place ?

— Pour l’heure, nous avons un grand avantage, dit Ackbar. Nous pouvons rendre inopérants leurs… yammosks. Nous pouvons perturber leurs communications et les pousser à se tirer dessus mutuellement. Nous ignorons si ces avantages dureront encore longtemps, nous devrions donc nous préparer à lancer un assaut décisif aussi tôt que possible.

— Mais la plupart de nos recrues manquent d’expérience, répliqua prestement Sien Sovv. Vous l’avez dit vous-même. Pouvons-nous nous lancer dans une bataille cruciale alors que nos troupes sont encore si peu entraînées ?

— Non, répondit Ackbar. Nous ne le pouvons pas. Nos unités doivent acquérir une certaine expérience du combat avant de pouvoir être lancées dans un engagement majeur.

— Et comment comptez-vous qu’elles acquièrent une telle expérience sans, justement, participer à un engagement majeur ? demanda Dif Scaur.

— En se lançant dans une multitude d’échauffourées, répondit Ackbar. Les Yuuzhan Vong souffrent du désavantage que nous déplorions nous-mêmes au début des hostilités. Ils ont beaucoup trop de planètes à défendre. Beaucoup trop de voies marchandes. Beaucoup trop de ressources. Nous devrions lancer la Flotte sur ces cibles. Sur toutes ces cibles. (Il leva une main.) Mais nous ne devrions jamais attaquer les Yuuzhan Vong là où nous savons qu’ils sont les plus forts. Ne jamais lancer une attaque sans être certains au préalable d’avoir l’avantage. Nos soldats doivent acquérir de l’expérience, mais cette expérience doit tirer ses enseignements de la victoire. En remportant méthodiquement succès après succès, ils apprendront à faire confiance à leurs commandants et auront de plus en plus confiance en eux au point de ne plus rien considérer d’autre que la victoire. (Ses gros yeux pédonculés se tournèrent vers l’amiral Sovv.) Vous devez laisser à vos officiers supérieurs la latitude, l’initiative de choisir leur cible. Vous devez les autoriser à prendre des risques et, à l’occasion, leur laisser la possibilité d’échouer. Attaquez, frappez, détruisez les cibles isolées. Coupez les lignes de communication, isolez les mondes ennemis les uns des autres. Etablissez des bases secrètes desquelles vous pourrez organiser vos raids. Mais jamais, au grand jamais, vous ne devrez assaillir l’ennemi là où il est fort. Attaquez-vous uniquement à ses points faibles.

— C’est la Rébellion qui se répète, commenta Cal Omas. C’est ainsi que nous avons affronté l’Empire pendant des années.

— C’est exact.

— Mais, lorsque nous combattions l’Empire, continua Cal, nous n’avions pas autant de planètes à défendre. Notre gouvernement était petit et pouvait aisément aller s’installer sur Yavin ou sur Hoth. Nous n’avions pas des millions de réfugiés à nourrir, à protéger, et des centaines de sénateurs à nos basques réclamant des mesures de protection spéciale pour telle ou telle planète.

— Nous ne devons défendre que les éléments essentiels à la guerre, répondit Ackbar. Ils doivent être défendus comme nous avons défendu Coruscant ou Borleias. Ils doivent être protégés au point qu’une victoire deviendrait beaucoup trop coûteuse à l’ennemi.

— Et quels seraient ces éléments ? demanda Cal Omas.

— Les lieux où sont assemblées les nouvelles unités de la Flotte. Mon Calamari. Kuat. Corellia. (Ackbar soupira à nouveau.) C’est tout.

— C’est tout ? demanda Cal.

— Tout le reste… (Ackbar fit un large geste de la main.) Tout le reste doit être secondaire en cas d’attaque de l’ennemi. Cela éprouvera considérablement les ressources des Yuuzhan Vong et ne fera qu’affaiblir encore plus leurs points faibles.

— Et les réfugiés ? demanda Luke. Ces énormes convois que nous essayons de protéger ? Ces millions de gens dont il a fallu s’occuper ?

Ackbar se tourna vers Luke. Ses yeux étaient froids.

— Nous ne pouvons pas nous permettre de défendre des cibles aussi grosses. Unir nos forces autour de telles cibles nous affaiblirait.

Luke sentit un frisson glacé lui courir dans le dos.

— J’ai prêté serment de défendre les faibles… répliqua-t-il.

— Et qui est faible ? demanda Ackbar. C’est nous qui sommes faibles. Le gouvernement. L’armée. Si nous continuons à pleurer sur notre sort, l’ennemi continuera de prospérer et les réfugiés seront voués à la mort, quoi que nous fassions. Si nous faisons comme je l’ai suggéré, nous serons forts et l’ennemi aura bien d’autres choses à faire que de s’attaquer aux convois de réfugiés.

— Je comprends, dit Luke en détournant les yeux.

Mais, intérieurement, son instinct semblait se rebeller contre la logique effrayante de l'Amiral Ackbar.

Dif Scaur posa ses mains frêles et noueuses sur la table. Sa peau était si pâle que ses mains semblèrent se fondre dans le marbre blanc.

— Je me permets de vous demander à nouveau les délais d’exécution d’un tel plan. Vous proposez de lancer nos forces, aussi inexpérimentées soient-elles, dans des exercices réels, contre des ennemis réels, afin de les endurcir. Combien de temps pensez-vous qu’il s’écoulera avant que la Flotte soit prête à initier une action d’importance, à se lancer dans cette bataille décisive à laquelle vous faites allusion ?

La réponse d’Ackbar fut preste.

— Trois mois, dit-il. Trois mois de petits affrontements ininterrompus avec nos adversaires devraient nous doter d’une force relativement expérimentée, capable de tenir tête aux Yuuzhan Vong.

— Trois mois… (Un sourire froid apparut sur le visage cadavérique de Dif Scaur.) Trois mois, le délai est tout à fait indiqué…

Le délai pour quoi ? se demanda Luke. Il y avait apparemment quelque chose de significatif par rapport à ces trois mois, mais Luke et Ackbar étaient apparemment les deux seules personnes de l’assistance qu’on n’avait pas voulu mettre au courant.

Ackbar se laissa choir sur sa chaise. La présentation du plan l’avait épuisé. L’exposé terminé, il s’autorisa à laisser sa fatigue apparaître. Winter lui épongea le front.

— Je ne regrette qu’une chose, c’est que ma santé ne me permette pas de servir la Nouvelle République de façon plus active, dit l’amiral.

— Votre contribution a toujours été essentielle, précisa Cal. Je souhaite à tout le monde, et à moi y compris, de bénéficier d’une retraite aussi fructueuse que la vôtre. (Il se tourna vers Sien Sovv.) Amiral Sovv ? Des commentaires sur le plan proposé par l'Amiral Ackbar ?

— Non, sinon pour lui témoigner toute mon admiration, dit Sovv. Je suis prêt à mettre ce plan en pratique sur-le-champ. Ou bien je peux encore démissionner en faveur de l’Amiral Ackbar, afin qu’il puisse mener son action à bien sans aucune interférence de ma part.

Ackbar leva une main fatiguée.

— Non, mon ami. Je ne suis pas en état de commander aux Forces de Défense. Tout le monde le sait.

Cal adressa à Ackbar un regard songeur.

— Pourriez-vous tenir un rôle consultatif ? demanda-t-il. Nous pourrions vous inventer un titre. Quelque chose comme « Responsable de la Stratégie de la Flotte » ?

La grosse tête hocha doucement.

— Je suis prêt à accomplir mon devoir au maximum de mes capacités.

— Et ces capacités sont limitées à cet instant précis, intervint Winter.

C’étaient les premiers mots qu’elle prononçait depuis le début de l’entretien, et ils sonnaient comme une calme réprimande, tels ceux d’une gouvernante reprenant les opérations en main. Winter se tourna vers Cal Omas.

— Il sera impossible à l’amiral de résister à un emploi du temps trop chargé, d’aller d’une réunion à une autre, d’inspecter la Flotte…

Ackbar leva une main en signe de protestation, mais Winter campa fermement sur ses positions.

— Non. Rien de tout cela, dit-elle. Et pas de cortèges de visiteurs venant demander des conseils ou cherchant de l’avancement. (Elle regarda l’amiral Sovv.) Il faudrait engager une petite équipe pour s’occuper de la paperasserie et des communications. Inutile d’envisager d’organiser des réunions comme celle-ci tout le temps.

— Bien compris. (La voix de Cal était ferme.) Si j’ai besoin de m’entretenir avec l’Amiral Ackbar, je prendrai rendez-vous et je viendrai en personne lui rendre visite. (Il se tourna vers Sovv.) Voulez-vous vous occuper du reste ?

— Certainement, approuva le Sullustain.

Puis Cal s’adressa à Luke.

— Est-ce que les Jedi pourraient aider à la réalisation de ce plan ?

Luke hésita.

— Je suggère de mettre ce sujet à l’ordre du jour de la première réunion du Conseil Jedi.

— Parfait. (Cal adressa un regard aux deux responsables des services de renseignement : Scaur, dans son costume civil, et Nylykerka, dans son uniforme militaire.) D’autres commentaires ?

— Je travaille pour l’Amiral Sovv, dit Nylykerka. Sous ses ordres, nous pouvons nous pencher sur les estimations des forces ennemies et des cibles possibles.

Dif Scaur hocha à son tour la tête en regardant Cal.

— Nous pouvons faire de même, bien entendu, sous le commandement du Chef de l’Etat.

Luke détecta un soupçon de condescendance dans le ton de Scaur, soucieux de se présenter comme prêt à collaborer. Il se demanda cependant ce que Scaur pouvait bien savoir que lui ignorait encore. Il eut l’impression que Scaur considérait que le plan de l'Amiral Ackbar était voué à l’échec, mais qu’il souhaitait faire croire qu’il était persuadé du contraire. Il avait très précautionneusement questionné Ackbar sur les délais d’exécution, quand le piège fonctionnerait et quand il détruirait les Yuuzhan Vong. Il avait paru satisfait quand Ackbar lui avait répondu qu’il lui suffirait de trois mois. Qu’est-ce qui allait se passer dans les trois mois qui soit susceptible de changer les plans d’Ackbar ? Dif Scaur disposait-il d’un autre plan qui garantissait la victoire ? Ou – et un frisson glacé coula dans le dos de Luke – Scaur savait-il déjà que l’ennemi serait en mesure, pendant ce temps, de rendre le plan d’Ackbar inopérant ? En lançant, par exemple, une offensive massive avant que le délai ne soit totalement écoulé…

Luke se dit qu’il devrait observer les faits et gestes de Dif Scaur avec la plus grande attention dans les semaines à venir. Peut-être que Mara pourrait, elle aussi, garder un œil sur lui.

Deux heures après la fin de l’entretien, le message Ackbar est de retour fut envoyé à toutes les unités de l’armée de la Nouvelle République. Sur certains des plus gros vaisseaux, les acclamations et démonstrations de joie durèrent plus d’une heure.

La voie du destin
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